ATTENTION : L’interprétation suivante est destinée aux personnes averties.
Blanche-Neige
La façon dont Disney a traité l’histoire de Blanche-Neige laisse les complications oedipiennes à notre imagination, sans les imposer à notre esprit conscient ; bien étudié, nous allons voir à quel point cette histoire nous permet de distinguer les phases principales du développement de l’enfance. Les années pré-oedipiennes de Blanche-Neige (lorsqu’elle était totalement dépendante de ses parents) sont à peine mentionnées : L’histoire se rapporte essentiellement aux conflits oedipiens entre la mère et la fille et à l’adolescence, et insistent sur ce qui constitue une «bonne enfance» et sur ce qu’il faut faire pour en sortir.
Apparemment il n’arrive rien de mal à Blanche neige pendant ses premières années de vie, bien que sa mère soit morte en couches et ait été remplacée par une belle-mère. Cette dernière ne devient la marâtre « typique» des contes de fées que lorsque Blanche-Neige commence à mûrir. Elle commence alors à se sentir menacée par Blanche-Neige et devient jalouse. Son narcissisme est mis en évidence quand elle essaie de se rassurer sur sa beauté en interrogeant le miroir magique.
L’attitude de la reine devant son miroir rappelle le vieux thème de Narcisse, qui finit par se laisser engloutir par l’amour qu’il avait de lui-même. Ce sont les parents les plus narcissiques qui se sentent les plus menacés par la croissance de leur enfant. Celui-ci leur montre, en prenant de l’âge, qu’ils vieillissent. Tant que l’enfant est totalement dépendant, il continue, pour ainsi dire, de faire partie du père et surtout de la mère. Mais quand, mûrissant, il tend vers son indépendance, il est ressenti comme une menace, et c’est ce qui arrive à la reine de Blanche-Neige : dans Blanche-Neige, la lutte oedipienne de la petite fille pubertaire n’est pas refoulée, mais vecue autour de la mère considérée comme rivale ; par ailleurs, le père est une figure totalement absente qui ne permet pas de désamorcer le conflit.
Tous les enfants voudraient qu’il soit possible d’éviter le difficile travail de l’intégration qui, ainsi que le montre aussi l’histoire de Blanche-Neige, s’accompagne de graves dangers. Pendant un certain temps il semble qu’il soit possible d’échapper à cette tâche : Blanche-Neige mène provisoirement une existence paisible auprès des nains où elle cesse d’être une enfant incapable d’affronter les difficultés du monde pour devenir une fillette qui apprend à bien travailler et à en tirer plaisir.
Comme les fées, les nains peuvent être bons ou mauvais ; dans Blanche-Neige, ils sont bons et ne demandent qu’à l’aider. La première chose que nous apprenons à leur sujet, c’est qu’ils « rentrent du boulot« . Comme tous les nains, même ceux qui sont antipathiques, ils sont durs et habiles à leur travail. Ils ne vivent que pour travailler ; ils ignorent ce que peuvent être les loisirs et les divertissements. Ils sont d’emblée impressionnés par la beauté de Blanche-Neige. Blanche-Neige va signer avec eux une sorte de pacte, lié au travail et à l’entretien de la maison : Les sept nains évoquent les sept jours de la semaine, des jours consacrés au labeur. Ce passage représente la période de l’intégration de l’adolescent dans le monde du travail.
Les nains sont donc essentiellement des êtres de sexe masculin, mais ils sont des hommes dont la croissance a avorté. Ces « hommes en miniature», avec leur corps trapu et leur travail de piocheur (ils se faufilent facilement dans les cavités sombres) évoquent des associations phalliques. Ils ne sont certainement pas des hommes dans le sens sexuel du mot ; leur façon de vivre et leur méconnaissance de l’amour évoquent une existence pré-oedipienne.
La période paisible de pré-adolescence que Blanche-Neige vit chez les nains avant que la reine ne revienne la tourmenter, lui donne la force de passer à l’adolescence. Elle entre ainsi dans une nouvelle phase de troubles : elle n’est plus une enfant qui doit subir passivement tout ce que sa mère lui inflige, mais une personne qui doit participer en toute responsabilité à ce qui lui arrive.
Les relations de Blanche-Neige avec la reine symbolisent certaines des graves difficultés qui peuvent surgir entre la mère et la fille.
Après avoir failli être détruite par son conflit pubertaire précoce et par la rivalité qui l’opposait à sa marâtre, Blanche-Neige tente de se réfugier dans une période de latence dénuée de conflits où, sa sexualité restant en sommeil, elle peut éviter les tourments de l’adolescence. Mais le développement humain, pas plus que le temps, ne peut rester statique, et il ne sert à rien d’essayer de revenir à une vie de latence pour échapper aux troubles de l’adolescence. Au tout début de son adolescence, Blanche-Neige commence à connaître les désirs sexuels qui étaient refoulés et endormis pendant la latence. Au même moment, la marâtre, qui représente les éléments consciemment refusés dans le conflit interne de Blanche-Neige, rentre en scène et brise la paix intérieure de la jeune fille.
La facilité avec laquelle Blanche-Neige se laisse tenter par sa marâtre, malgré les avertissements des nains, montre combien ces tentations sont proches de ses désirs secrets. Les nains lui disent en vain de ne laisser entrer personne dans la maison (ou, symboliquement, dans son être intérieur). La scène de la pomme symbolise le moment où l’adolescent décide de ne plus fuir devant les conflit mais de les affronter.
Blanche-Neige croque généreusement dans la pomme : en mangeant la partie rouge (érotique) de la pomme, elle met fin à son « innocence ». Les nains, qui étaient les compagnons de son existence fixée au stade de latence, sont incapables de lui rendre la vie : Elle a fait son choix. Le rouge de la pomme évoque des associations sexuelles, de même que les trois gouttes de sang qui conduisent à la naissance de Blanche-Neige : celles-ci évoquent la menstruation, un événement qui marque le début de la maturité sexuelle. Tandis qu’elle mange la partie rouge de la pomme, l’enfant qui est en Blanche-Neige meurt et est placé dans un cercueil de verre.
L’histoire de Blanche-Neige nous apprend qu’il ne suffit pas d’atteindre la maturité physique pour être prêt, intellectuellement et affectivement, à entrer dans l’âge adulte, en tant qu’il est représenté par le mariage. L’adolescent doit encore grandir, et il faut encore beaucoup de temps avant que soit formée une personnalité plus mûre et que soient intégrés les vieux conflits. C’est à ce moment-là seulement qu’on est prêt à accueillir le partenaire de l’autre sexe et à établir avec lui les relations intimes qui permettent à la maturité adulte de s’accomplir. Le partenaire de Blanche-Neige est le prince qui reçoit le cercueil des mains des nains et qui l’emporte. L’histoire de Blanche-Neige nous dit de façon symbolique que si nous ne refrénons pas nos passions incontrôlées, elles finiront par nous détruire.
De nombreux héros de contes de fées, à un moment crucial de leur développement, tombent dans un profond sommeil ou sont ramenés à la vie. Chaque réveil (ou renaissance) symbolise l’accession à un niveau supérieur de maturité et de compréhension. C’est l’une des façons qu’adopte le conte de fées pour stimuler notre désir de donner à la vie une signification plus élevée : une conscience plus profonde, une meilleure connaissance de soi et une plus grande maturité. La longue période d’inactivité qui précède le réveil de Blanche-Neige fait comprendre à l’auditeur – sans l’exprimer consciemment – que cette renaissance exige pour les deux sexes un temps de repos et de concentration.
Sources de cet article : Bibliothèque Municipale de Lyon et Psychanalyse des Contes de fées, Bruno BETTELHEIM