ATTENTION : L’interprétation suivante est destinée aux personnes averties.
Cendrillon
L’histoire de Cendrillon semble être bâtie autour des angoisses et des espoirs qui forment le contenu essentiel de la rivalite fraternelle et autour de l’héroïne triomphant de ses soeurs qui l’ont rabaissée ; d’ailleurs, l’expression « vivre parmi les cendres » s’appliquait symboliquement à celui ou à celle qui occupait une position très inférieure par rapport à ses frères et soeurs.
L’histoire de Cendrillon traduit parfaitement les expériences vécues par le jeune enfant en proie à la rivalité fraternelle : Cendrillon est écrasée et avilie par ses demi-soeurs; sa (belle-) mère la sacrifie pour elles et exige d’elle les corvées les plus sales, et bien qu’elle les accomplisse parfaitement, on ne reconnaît pas ses mérites : c’est ce que ressent l’enfant quand il est ravagé par les supplices de la rivalité fraternelle. Cendrillon séduit tout autant, ou presque, les garçons que les filles parce que les enfants des deux sexes souffrent de la rivalité fraternelle et ont le même désir d’échapper à leur position inférieure et de surpasser ceux qui semblent supérieurs à eux.
Par ailleurs, Cendrillon représente l’enfant pré-pubertaire qui n’a pas encore refoulé son désir d’être sale et qui n’a pas encore pris en aversion les petits animaux furtifs (comme les souris), et qui a encore la faculté de voir ce que les adultes ne voient plus (la citrouille est pour elle un carrosse). Les souris et les rats hantent les endroits sombres et sales et volent les denrées. Inconsciemment ils éveillent également des associations phalliques, présageant l’arrivée de l’intérêt et de la maturité sexuels. En dehors de ces rapprochements phalliques, le fait de transformer ces animaux inférieurs, et même répugnants, en chevaux, en cocher et en laquais, représente une sublimation.
Ces détails font voir qu’au cours de son stade inférieur, Cendrillon avait peut-être des préoccupations phalliques; ils semblent montrer que cet intérêt pour la saleté et pour les emblèmes phalliques doit être sublimé tandis qu’elle évolue vers la maturité, autrement dit, qu’elle se prépare à accueillir le Prince.
En fuyant le prince, Cendrillon montre qu’elle veut être choisie pour ce qu’elle est vraiment et non pour ses atours somptueux. Elle n’appartiendra à son amant que si, l’ayant vue dans son état de dégradation, il n’en continue pas moins de la désirer. Le fait de supplier pour aller au bal et d’ensuite s’en enfuir symbolisent l’ambivalence de la jeune fille qui veut s’engager personnellement et sexuellement et qui, en même temps, a peur de le faire.
Ce n’est sans doute pas par hasard que Cendrillon est chaussée de pantoufles de verre… Un petit réceptacle où une partie du corps peut se glisser et être tenue serrée peut être considéré comme le symbole du vagin. Et s’il est fait d’une matière fragile qui peut se briser si on la force, on pense aussitôt à l’hymen; et un objet qui se perd facilement à la fin d’un bal, au moment où l’amant essaie de s’emparer de sa bien-aimée, peut passer pour une image assez juste de la virginité, particulièrement quand l’homme dresse un piège pour s’en emparer. En fuyant, Cendrillon semble faire un effort pour protéger sa virginité.
A la fin du film, on sent que la scène de la pantoufle symbolise la conclusion des fiançailles, et que Cendrillon est une fiancée vierge : Tous les enfants savent que le mariage est lié au sexe.
Le prince, en lui présentant la pantoufle, lui fait posséder vraiment à la fois la pantoufle et le royaume. Il lui offre symboliquement sa féminité sous la forme de la pantoufle d’or-vagin : l’acceptation par l’homme du vagin et de l’amour qu’il éprouve pour la femme est l’ultime validation, par l’homme, du caractère désirable de sa féminité.
Mais personne, pas même un prince de conte de fées, ne peut forcer une femme à accepter sa féminité; seule Cendrillon, finalement, peut le faire, aidée toutefois par l’amour du prince. Voilà donc là la signification profonde des successifs essayages de la pantoufle par les jeunes filles de la maison.
Au cours de la cérémonie de la pantoufle, qui cèle les fiançailles de Cendrillon et du prince, celui-ci la choisit parce que d’une manière symbolique, elle est la femme non castrée qui le soulage de son angoisse de castration qui empêcherait les relations conjugales d’être pleinement heureuses. Elle le choisit parce qu’il l’apprécie sous ses aspects sexuels « sales », parce qu’il accepte amoureusement son vagin représenté par la pantoufle, et parce qu’il approuve son désir du pénis, symbolisé par le petit pied qui se loge à l’aise dans la pantoufle-vagin.
C’est pourquoi le prince apporte la pantoufle à Cendrillon et c’est pourquoi elle y glisse son petit pied c’est en faisant cela qu’elle se reconnaît pour l’épouse qui convient au prince. Mais en enfonçant son pied dans la pantoufle, elle affirme également qu’elle jouera, elle aussi, un rôle actif dans leurs rapports sexuels. Et elle donne aussi l’assurance qu’il ne lui manque, et qu’il ne lui manquera jamais rien; elle possède tout ce qui convient au prince, de même que son pied convient parfaitement à la pantoufle.
Cendrillon détaille les étapes du développement de la personnalité indispensables à l’accomplissement de soi, et les présente à la manière des contes de fées, de telle sorte que n’importe qui peut comprendre ce qu’il doit faire pour devenir un être humain accompli.
Cendrillon guide l’enfant depuis ses plus grandes déceptions (les désillusions oedipiennes, l’angoisse de castration, la mauvaise opinion qu’il a de lui-même, calquée sur celle qu’il prête aux autres… ) jusqu’au moment où il développe son autonomie, où il devient sérieux dans son travail et où il atteint son identité positive. Cendrillon, à la fin de l’histoire, est effectivement prête à vivre un heureux mariage. Mais aime-t-elle le prince ? L’histoire ne le dit nulle part. Mais qu’a Cendrillon encore à apprendre? Quelles autres expériences sont nécessaires pour montrer à l’enfant ce qu’est le véritable amour ?
Sources de cet article : Bibliothèque Municipale de Lyon et Psychanalyse des Contes de fées, Bruno BETTELHEIM